29 Décembre 2007
Si nous ne pouvons espérer plus que ce qui est effectivement accessible d'une fois sur l'autre ni plus que ce qu'on peut espérer des autorités politiques et économiques, notre vie se réduit bien vite à être privée d'espérance. (n° 35)
D’une certaine façon, l’humanité attend Dieu, elle attend qu’il se fasse proche. Mais quand arrive le moment, il n’y a pas de place pour lui. Elle est si occupée d’elle-même, elle a besoin de tout l’espace et de tout le temps de manière si exigeante pour ses propres affaires qu’il ne reste rien pour l’autre – pour le prochain, pour le pauvre, pour Dieu. Et plus les hommes deviennent riches, plus ils remplissent tout d’eux-mêmes. Et moins l’autre peut y entrer.
L'engagement quotidien pour la continuation de notre vie et pour l'avenir de l'ensemble nous épuise ou se change en fanatisme si nous ne sommes pas éclairés par la lumière d'une espérance plus grande, qui ne peut être détruite ni par des échecs dans les petites choses ni par l'effondrement dans des affaires de portée historique. (...) Seule la grande espérance-certitude que, malgré tous les échecs, ma vie personnelle et l'histoire dans son ensemble sont gardées dans le pouvoir indestructible de l'Amour et qui, grâce à lui, ont pour lui un sens et une importance, seule une telle espérance peut dans ce cas donner encore le courage d'agir et de poursuivre. (n° 35)Aujourd'hui, c'est l'exemple de la sainte Famille qui nous dit que le chemin de l'espérance est aussi le chemin de la souffrance, des défaites, des échecs. Ce sont autant d'occasions qui nous rappellent que nous ne construisons pas le Règne de Dieu à la force du poignet, par nos propres oeuvres. L'espérance, loin de nous conduire à démissionner, nous permet de ne pas baisser les bras, de tenir bon, et de continuer d'agir quoi qu'il arrive :
Cela garde aussi un sens si, à ce qu'il semble, nous ne réussissons pas ou nous paraissons désarmés face à la puissance de forces hostiles. Ainsi, d'un côté, une espérance pour nous et pour les autres jaillit de notre agir ; de l'autre, cependant, c'est la grande espérance appuyée sur les promesses de Dieu qui, dans les bons moments comme dans les mauvais, nous donne courage et oriente notre agir. (ibid.)
Certainement, dans nos multiples souffrances et épreuves nous avons toujours besoin aussi de nos petites ou de nos grandes espérances – d'une visite bienveillante, de la guérison des blessures internes et externes, de la solution positive d'une crise, et ainsi de suite. Dans les petites épreuves, ces formes d'espérance peuvent aussi être suffisantes. Mais dans les épreuves vraiment lourdes, où je dois faire mienne la décision définitive de placer la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession, la certitude de la véritable, de la grande espérance, dont nous avons parlé, devient nécessaire. Pour cela nous avons aussi besoin de témoins, de martyrs, qui se sont totalement donnés, pour qu'ils puissent nous le montrer – jour après jour. Nous en avons besoin pour préférer, même dans les petits choix de la vie quotidienne, le bien à la commodité – sachant que c'est justement ainsi que nous vivons vraiment notre vie. Disons-le encore une fois : la capacité de souffrir par amour de la vérité est la mesure de l'humanité ; cependant, cette capacité de souffrir dépend du genre et de la mesure de l'espérance que nous portons en nous et sur laquelle nous construisons. Les saints ont pu parcourir le grand chemin de l'être-homme à la façon dont le Christ l'a parcouru avant nous, parce qu'ils étaient remplis de la grande espérance. (n° 39)
Moi, Paul, lié de chaînes pour le Christ, je veux vous raconter les tribulations dans lesquelles je suis chaque jour enseveli, afin qu'embrasés de l'amour divin, vous bénissiez avec moi le Seigneur, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde (cf. Ps 135 [136], 3). Cette prison est vraiment une vive figure de l'enfer éternel. Aux liens, aux cangues et aux entraves viennent s'ajouter des colères, des vengeances, des malédictions, des conversations impures, des rixes, des actes mauvais, des serments injustes, des médisances, auxquels se joignent aussi l'ennui et la tristesse. Mais celui qui a déjà délivré les trois enfants des flammes ardentes est aussi demeuré avec moi ; il m'a délivré de ces maux et il me les convertit en douceur, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde. Par la grâce de Dieu, au milieu de ces supplices qui ont coutume d'attrister les autres, je suis rempli de gaieté et de joie, parce que je ne suis pas seul, mais le Christ est avec moi [...]. Comment puis-je vivre, voyant chaque jour les tyrans et leurs satellites infidèles blasphémer ton saint nom, toi, Seigneur, qui es assis au milieu des Chérubins (cf. Ps 79 [80], 2) et des Séraphins ? Vois ta croix foulée aux pieds des mécréants. Où est ta gloire ? À cette vue, enflammé de ton amour, j'aime mieux mourir et que mes membres soient coupés en morceaux en témoignage de mon amour pour toi, Seigneur. Montre ta puissance, délivre-moi et aide-moi, afin que, dans ma faiblesse, ta force se fasse sentir et soit glorifiée devant le monde [...]. En entendant ces choses, vous rendrez, remplis de joie, d'immortelles actions de grâces à Dieu, auteur de tous les dons, et vous le bénirez avec moi, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde [...]. Je vous écris ces choses pour que nous unissions votre foi et la mienne : au milieu de ces tempêtes, je jette une ancre qui va jusqu'au trône de Dieu ; c'est l'espérance qui vit toujours en mon cœur. (n° 37)En entendant cela, vous vous dites peut-être que vous n'arriverez jamais à la cheville des martyrs. Qu'en savez-vous ? Sainte Thérèse de Lisieux ne disait-elle pas qu'elle se savait si petite qu'elle n'arriverait jamais à monter même la première marche des escaliers vers Dieu, mais qu'elle savait qu'il y a un ascenseur (une invention récente à son époque), et que cet ascenseur, ce sont les bras de Jésus. Mais en attendant l'ascenseur, elle savait aussi qu'il fallait continuer d'essayer de mettre son petit pied sur la première marche. Elle ne démobilise pas, l'espérance ; elle mobilise, elle évangélise.
Je voudrais encore ajouter une petite annotation qui n'est pas du tout insignifiante pour les événements de chaque jour. La pensée de pouvoir « offrir » les petites peines du quotidien, qui nous touchent toujours de nouveau comme des piqûres plus ou moins désagréables, leur attribuant ainsi un sens, était une forme de dévotion, peut-être moins pratiquée aujourd'hui, mais encore très répandue il n'y a pas si longtemps. Dans cette dévotion, il y avait certainement des choses exagérées et peut-être aussi malsaines, mais il faut se demander si quelque chose d'essentiel qui pourrait être une aide n'y était pas contenu de quelque manière. Que veut dire « offrir » ? Ces personnes étaient convaincues de pouvoir insérer dans la grande compassion du Christ leurs petites peines, qui entraient ainsi d'une certaine façon dans le trésor de compassion dont le genre humain a besoin. De cette manière aussi les petits ennuis du quotidien pourraient acquérir un sens et contribuer à l'économie du bien, de l'amour entre les hommes. Peut-être devrions-nous nous demander vraiment si une telle chose ne pourrait pas redevenir une perspective judicieuse pour nous aussi. (n° 40)L'un de ceux qui ont enseigné et pratiqué cette dévotion dans toute sa pureté est saint Louis-Marie Grignion de Montfort :
Faites profit, et même davantage, des petites souffrances que des grandes. Dieu ne regarde pas tant la souffrance que la manière avec laquelle on souffre. Souffrir beaucoup et souffrir mal, c'est souffrir en damné ; souffrir beaucoup et avec courage, mais pour une mauvaise cause, c'est souffrir en martyr du démon ; souffrir peu ou beaucoup et souffrir pour Dieu, c'est souffrir en saint.Évidemment, ce ne sera pas devant les caméras de la télévision :
S'il est vrai de dire qu'on peut faire choix des croix, c'est particulièrement des petites et obscures quand elles viennent en parallèle avec les grandes et éclatantes. L'orgueil de la nature peut demander, rechercher et même choisir et embrasser les croix grandes et éclatantes ; mais de choisir et de bien joyeusement porter les croix petites et obscures, ce ne peut être que l'effet d'une grande grâce et d'une grande fidélité à Dieu. Faites donc comme le marchand au regard de son comptoir : faites profit de tout, ne laissez pas perdre la moindre parcelle de la vraie Croix, quand ce ne serait qu'un piqûre de mouche ou d'épingle, qu'un petit travers d'un voisin, qu'une petite injure par méprise, qu'une petite perte d'un denier, qu'un petit trouble dans l'âme, qu'une petite lassitude dans le corps, qu'une petite douleur dans l'un de vos membres, etc. Faites profit de tout, comme l'épicier de sa boutique, et vous deviendrez bientôt riches en Dieu, comme il devient riche en argent, en mettant denier sur denier dans son comptoir. À la moindre petite traverse qui vous arrive, dites : Dieu soit béni ! Mon Dieu, je vous remercie ; puis cachez dans la mémoire de Dieu, qui est comme votre comptoir, la croix que vous venez de gagner ; et puis ne vous en souvenez plus que pour dire : Grand merci, ou miséricorde ! (Lettre aux Amis de la Croix, 8°)
- Toutes ces souffrances, il faut les offrir au Seigneur ...
- Mais n'est-ce pas un peu trop facile, d'offrir la souffrance des autres ...
- Pourquoi voudriez-vous que Dieu ne nous demande que des choses difficiles ?