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Homélies catholiques de la Martinique

les homélies d'un prêtre catholique en paroisse, ayant prêché de nombreuses retraites en foyer de charité

Homélie 1° dimanche de Carême A 2008: Docteur, mon espérance est malade ! (Mt 4, 1-11)

1-car-me-A-2008s.jpg    Dimanche dernier, nous avons entendu l'évangile des Béatitudes en ouverture de ce que l'on peut appeler la charte du Royaume, le "Discours sur la montagne" où saint Matthieu nous présente Jésus comme le nouveau Moïse, venu, non pas abolir, mais accomplir la Loi du Décalogue.

    Un peu avant, à la fin du Temps de Noël, nous avons célébré le Baptême du Seigneur, après lequel Jésus est investi de la fonction messianique comme "Fils bien-aimé".

    Entre les deux, saint Matthieu nous relate, tout comme les deux autres synoptiques, le séjour de Jésus au désert. Jésus, assumant sa fonction messianique, affronte l'épreuve à laquelle aucun homme ne peut échapper. Déjà Israël avait dû faire la preuve de sa fidélité au Dieu de l'Alliance, dont il était "le fils premier-né" (Ex 4, 22) et "l'enfant de prédilection" (Jr 31, 20). Mais le peuple élu avait succombé (cf. Dt 6, 13.16 ; 8, 3), tout comme nos premiers parents au jardin de l'Éden (cf. 1° lect.), alors que Jésus, le Fils bien-aimé, en sort victorieux.

    Saint Matthieu se plaît ainsi à montrer l'analogie entre la situation de Jésus et celle d'Israël en vue de la terre promise. De même qu'Israël avait fait l'expérience du désert, lieu de la rencontre avec Dieu, avant d'entrer dans le pays promis à leurs pères, Jésus s'est retiré dans le désert, avant d'inaugurer les temps messianiques. Les Hébreux avait eu faim et soif durant les quarante années au désert, et ils s'en étaient pris à Dieu et à Moïse. Il y avait aussi la tentation de revenir en arrière, et de retourner en Égypte. Jésus aussi eut faim durant sa retraite au désert, mais il ne connaissait que la volonté de son Père. À la fin de l'Exode, Moïse avait pu contempler la terre dans laquelle il ne pouvait pas entrer à cause de son péché. Jésus, lui, savait que son Royaume n'était pas de ce monde (Jn 18, 36).

    Le récit de Matthieu, comme celui de Luc, contient trois tentations. Le chiffre trois veut dire que la tentation à laquelle Jésus s'est soumis a été permanente. Le chiffre trois indique le superlatif. Toute la vie de Jésus est parcourue par cette tentation fondamentale. Ses adversaires lui demandent des signes ; ses disciples s'inquiétent de leurs places dans le Royaume.

    Le récit des tentations est toujours d'une grande actualité pour nous, car, comme je viens de vous le dire, aucun homme n'échappe à la tentation. Sans cesse, et plus que jamais dans notre société de consommation, les hommes veulent posséder. Les sondages récents le montrent : l'augmentation du pouvoir d'achat est la préoccupation majeure des Français, avant même le travail, avant même la famille, ... avant même Dieu ! Que ne fait-on pas, que n'est-on pas prêt à faire pour avoir plus d'argent ? On convoite, on "se débrouille", on vole, on triche, on devient esclave des jeux de hasard, etc. À la Martinique, on n'est pas en reste... C'est la course à l'argent, au succès, sans même se rendre compte qu'en cours de route, comme dans une corrida, on écrase les plus faibles, les plus petits, tout ce qui se trouve sur notre passage. Combien de grossesses avortées, sacrifiées sur l'autel du pouvoir d'achat ou de la tranquillité ?

    Jésus sait que tout cela n'est que la corruption du désir fondamental qui est au coeur de tout homme : le désir de Dieu. "Tu nous a faits pour toi, Seigneur. Et notre coeur est sans repos, tant qu'il ne demeure en toi", disait saint Augustin. Jésus refuse de participer à cette course ; il refuse la gloire qui vient des hommes. Il accepte d'être le Serviteur et consent à éprouver la souffrance et la mort humaines. Étant vrai Dieu, il nous révèle ce que c'est que d'être vrai homme. La sainteté, pour nous, c'est cela : être vrai homme. Le péché, c'est la maladie de l'homme. Par le baptême, nous avons été délivré de l'esclavage du péché, comme les Hébreux avaient été délivrés de l'esclavage d'Égypte. Mais ensuite, c'est, pour les Hébreux comme pour nous, l'épreuve du désert durant laquelle nous avons à mener le combat contre les tentations, dans l'espérance de la vie éternelle. Ce combat dure jusqu'à notre mort.

    Vendredi dernier, c'était la fête de sainte Joséphine Bakhita. Vous vous en souvenez : Benoît XVI la mentionne avec insistance dans son encyclique Spe salvi (n. 3). Il avait évoqué la situation dans laquelle se trouvaient les chrétiens d'Éphèse avant de recevoir le baptême :

Souvenez-vous donc de ce que vous étiez autrefois (...) Souvenez-vous qu'en ce temps-là vous n'aviez pas de Messie à attendre, vous n'aviez pas droit de cité dans le peuple de Dieu, vous étiez étrangers aux alliances et à la promesse, vous n'aviez pas d'espérance, et, dans le monde, vous étiez sans Dieu. (Ép 2, 11.12)

    Et c'est alors que Benoît XVI cite sainte Bakhita en exemple :

L'exemple d'une sainte de notre temps peut en quelque manière nous aider à comprendre ce que signifie rencontrer ce Dieu, pour la première fois et réellement. Je pense à l'Africaine Joséphine Bakhita, canonisée par le Pape Jean-Paul II. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. À l'âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d'esclaves, battue jusqu'au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d'un général, et elle fut chaque jour battue jusqu'au sang ; il en résulta qu'elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Enfin, en 1882, elle fut vendue à un marchand italien pour le consul italien Callisto Legnani qui, face à l'avancée des mahdistes, revint en Italie. Là, après avoir été jusqu'à ce moment la propriété de "maîtres" aussi terribles, Bakhita connut un "Maître" totalement différent – dans le dialecte vénitien, qu'elle avait alors appris, elle appelait "Paron" le Dieu vivant, le Dieu de Jésus Christ.
Jusqu'alors, elle n'avait connu que des maîtres qui la méprisaient et qui la maltraitaient, ou qui, dans le meilleur des cas, la considéraient comme une esclave utile. Cependant, à présent, elle entendait dire qu'il existait un "Paron" au-dessus de tous les maîtres, le Seigneur des seigneurs, et que ce Seigneur était bon, la bonté en personne. Elle apprit que ce Seigneur la connaissait, elle aussi, qu'il l'avait créée, elle aussi – plus encore qu'il l'aimait. Elle aussi était aimée, et précisément par le "Paron" suprême, face auquel tous les autres maîtres ne sont, eux-mêmes, que de misérables serviteurs. Elle était connue et aimée, et elle était attendue. Plus encore, ce Maître avait lui-même personnellement dû affronter le destin d'être battu et maintenant il l'attendait "à la droite de Dieu le Père". Désormais, elle avait une "espérance" – non seulement la petite espérance de trouver des maîtres moins cruels, mais la grande espérance : je suis définitivement aimée et quel que soit ce qui m'arrive, je suis attendue par cet Amour. Et ainsi ma vie est bonne. Par la connaissance de cette espérance, elle était "rachetée", elle ne se sentait plus une esclave, mais une fille de Dieu libre. Elle comprenait ce que Paul entendait lorsqu'il rappelait aux Éphésiens qu'avant ils étaient sans espérance et sans Dieu dans le monde – sans espérance parce que sans Dieu.

    Nous, nous avons été baptisés, mais vivons-nous avec ou sans Dieu ? Il n'y pas que l'athéisme militant. Il y a aussi l'athéisme pratique. L'athéisme pratique consiste à proclamer que l'on croit en Dieu, mais à mener sa vie pratiquement comme si Dieu n'existait pas. Dans ce cas, il n'est pas étonnant que nos désirs se corrompent et que nous soyons "sans espérance".

    Jésus lui-même a été tenté par le démon au désert, quand il a été emporté par lui "sur une très haute montagne" pour voir "tous les royaumes du monde avec leur gloire".

Il lui dit : "Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer".

    Si nous ne nous prosternons pas devant Dieu, nous nous prosternerons devant le démon. Il n'y a pas d'autre alternative. Et si nous ne savons même plus mettre un genou à terre pour faire une génuflexion en entrant dans une église, un jour nous serons mis à genoux pour pleurer.

    Dans un de ses livres, "L’Esprit de la liturgie", le Cardinal Joseph Ratzinger écrivait ceci sur l’agenouillement :

Le geste du corps est en lui-même porteur d’un sens spirituel sans laquelle l’attitude physique resterait sans signification. L’acte spirituel, de par son essence, de par l’unité corps-âme de l’homme, doit nécessairement s’exprimer dans le corps. Il se peut bien que l’agenouillement  soit étranger à la culture moderne, pour la bonne raison que c’est une culture qui s’est éloignée de la foi et ne connaît  plus celui devant lequel l’agenouillement est le geste juste, et même intrinsèquement nécessaire. Qui apprend à croire, apprend aussi à s’agenouiller, et une foi ou une liturgie qui ne connaitrait plus l’agenouillement serait malade dans son centre. Partout où il a été perdu, l’agenouillement doit être réappris afin que, par notre prière, nous restions dans la communauté des apôtres et des martyrs, dans la communauté du cosmos tout entier, en union avec Jésus-Christ.

    Jésus a pu résister à la tentation du démon, parce qu'il avait une nourriture équilibrée et saine, non contaminée par quelque germe malicieux :

Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre. (Jn 4, 34)

    Or, de cette nourriture, Jésus dit à ses disciples qu'ils ne la connaissent pas (v. 32) ! Prions donc pour les diacres, les prêtres et les évêques, appelés par le Seigneur pour travailler dans la moisson des hommes, afin qu'ils ne se laissent pas tenter par la perspective fallacieuse de faire carrière ou d'être bien vus et à la mode. Le cariérisme est le symptôme d'une maladie. Quand le but principal de notre vie consiste à faire carière, à quelque degré et dans quelque domaine que ce soit (y compris dans l'Église !) cela montre que notre espérance est corrompue. Si elle était saine, nous ne serions pas tentés, ou, du moins, nous n'entrerions pas dans la tentation de faire quoi que ce soit pour autre chose que pour accomplir la volonté de Dieu.

    Lors de son homélie pour la messe d'ordination des prêtres du diocèse de Rome en 2006, Benoît XVI, en commentant le passage de l'Évangile de Jean où Jésus parle de ceux qui veulent escalader la bergerie au lieu d'entrer par la porte, met en garde contre cette tentation du carriérisme :

Jésus, avant de se désigner comme Pasteur, dit à notre surprise:  "Je suis la porte" (10, 7). C'est à travers Lui que l'on doit entrer dans le service de pasteur.  Jésus  souligne très clairement cette condition de fond en affirmant:  celui qui "fait l'escalade par une autre voie est un brigand" (Jn 10, 1). Ce mot "fait l'escalade" - "anabainei" en grec - évoque l'image de quelqu'un qui grimpe sur la clôture pour parvenir, en la franchissant, là où il ne pourrait pas légitimement arriver. "Faire l'escalade" - on peut également voir ici l'image du carriérisme, de la tentative d'arriver "en-haut", de se procurer une position grâce à l'Eglise:  de se servir, et non de servir. C'est l'image de l'homme qui, à travers le sacerdoce, veut devenir important, devenir quelqu'un; l'image de celui  qui  a  pour  objectif  sa propre ascension et non l'humble service de Jésus Christ. Mais l'unique ascension légitime vers le ministère de pasteur est la croix. Telle est la véritable ascension, la porte véritable. Ne pas désirer devenir personnellement quelqu'un, mais être en revanche présent pour l'autre, pour le Christ, et ainsi, à travers Lui et avec Lui, être présent pour les hommes qu'Il cherche, qu'Il veut conduire sur la voie de la vie.

    L'année suivante, il y a un an, c'était le 17 février, notre Saint-Père rendait visite aux séminaristes du Séminaire Pontifical de Rome, comme il vient de le faire encore la semaine dernière. C'est la coutume que les séminaristes lui posent des questions. L'un d'eux, un séminariste bulgare, avait été frappé par ce passage de l'homélie de 2006. Voici la question qu'il a posée :

Comment nous situer par rapport à ces problématiques de la manière la plus sereine et la plus responsable possible?

    Dans sa réponse, le Pape avait de nouveau pris sainte Joséphine en exemple :

Il me vient à l'esprit une petite histoire de sainte Bakhita, cette belle sainte africaine, qui était esclave au Soudan, puis a trouvé le foi en Italie, s'est faite sœur, et alors qu'elle était déjà âgée, l'Évêque effectua une visite dans son monastère, dans sa maison religieuse et il ne la connaissait pas ; il vit cette petite sœur africaine, déjà courbée, et il dit à Bakhita : "Mais vous, que faites-vous ma sœur ?"; Bakhita répondit : "Je fais la même chose que vous, Excellence". L'Évêque surpris demanda : "Mais quoi donc ?" et Bakhita répondit : "Mais Excellence, nous voulons tout deux faire la même chose, faire la volonté de Dieu". Cela me semble une très belle réponse, l'Évêque et la petite sœur, qui ne pouvait pratiquement plus travailler, faisaient, dans des situations différentes, la même chose, essayaient d'accomplir la volonté de Dieu et ils étaient ainsi à leur juste place.

    Par l'intercession de sainte Joséphine, prions donc le Seigneur pour tous ceux qui prétendent le servir, mais qui, en réalité, ne cherchent que leur propre gloire. Et qui ne la cherche pas ?

Le Seigneur sait, - avait dit aussi le Pape - il savait dès le commencement que, dans l'Eglise, le péché existe aussi et pour notre humilité, il est important de le reconnaître et de ne pas seulement voir le péché chez les autres, dans les structures, dans les hautes responsabilités hiérarchiques, mais également en nous-mêmes pour être ainsi plus  humbles et apprendre que ne compte pas, devant le Seigneur, la position ecclésiale, mais que ce qui compte est d'être dans son amour et de faire briller son amour.

    Terminons avec un dernier passage de Benoît XVI sur Joséphine Bakhita (c'est de nouveau dans Spe salvi, n. 3) :

Aussi, lorsqu'on voulut la renvoyer au Soudan, Bakhita refusa-t-elle ; elle n'était pas disposée à être de nouveau séparée de son "Paron". Le 9 janvier 1890, elle fut baptisée et confirmée, et elle fit sa première communion des mains du Patriarche de Venise. Le 8 décembre 1896, à Vérone, elle prononça ses vœux dans la Congrégation des Sœurs canossiennes et, dès lors – en plus de ses travaux à la sacristie et à la porterie du couvent –, elle chercha surtout dans ses différents voyages en Italie à appeler à la mission : la libération qu'elle avait obtenue à travers la rencontre avec le Dieu de Jésus Christ, elle se sentait le devoir de l'étendre, elle devait la donner aussi aux autres, au plus grand nombre de personnes possible. L'espérance, qui était née pour elle et qui l'avait "rachetée", elle ne pouvait pas la garder pour elle ; cette espérance devait rejoindre beaucoup de personnes, elle devait rejoindre tout le monde.
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