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Homélies catholiques de la Martinique

les homélies d'un prêtre catholique en paroisse, ayant prêché de nombreuses retraites en foyer de charité

Homélie 3 Pâques A 2008 : Les "paroissiens" d'Emmaüs (Lc 24, 13-35)

    Voilà deux disciples de Jésus qui n'ont rien compris. Ils avaient eu de l'estime pour leur Maître, "prophète puissant par ses actes et ses paroles". Mais il n'a pas répondu à leurs attentes. Selon eux il a lamentablement échoué. Leurs attentes se sont évanouies :

Et nous qui espérions qu'il serait le libérateur d'Israël !

    Est-ce Jésus qui a déçu ses disciples ? Non, c'est eux qui se sont trompés d'espérance. Ce sont les disciples qui ont déçu Jésus. Alors Jésus entreprend pour eux une catéchèse fondamentale, modèle de toute homélie, suivie d'un repas, la fraction du pain, "ce rite propre au repas juif", qui avait été "utilisé par Jésus lorsqu'il bénissait et distribuait le pain en maître de table, surtout lors de la dernière Cène". C'est ainsi que "les premiers chrétiens désigneront leurs assemblées eucharistiques. Ils signifieront par là que tous ceux qui mangent à l'unique pain rompu, le Christ, entrent en communion avec Lui et ne forment plus qu'un seul corps en Lui" (CEC 1329).

    Le récit d'Emmaüs nous apprend ce qu'est aujourd'hui la présence du Christ, ce que nous pouvons en attendre. Il nous met en face des mêmes égarements dans notre espérance, devant les mêmes incompréhensions, non seulement de l'Ancien, mais aussi du Nouveau Testament, de l'Évangile même, de l'Église aussi, de la manière dont Dieu conduit nos existences. À nous de faire, comme les deux disciples sur la route d'Emmaüs, un long chemin avec Jésus, cheminement de toute une vie qui passe par la méditation attentive de la Parole de Dieu (du texte écrit de la Bible, bien sûr, mais aussi de l'Histoire de l'Église, des paroles et évènements de notre vie de tous les jours ...), mais toujours pour aboutir à la fraction du pain dans la communauté de l'Église, fondée sur les apôtres, dont les successeurs sont les évêques, et en particulier, sur le témoignage de Pierre, dont le successeur est l'évêque de Rome.

    Nous aussi, nous devons reconnaître que depuis le temps que nous sommes avec Jésus (depuis notre baptême), notre coeur est "lent à comprendre". Il s'agit de Jésus, non pas d'un prophète, mais du Messie, annoncé par la Loi, les Prophètes et les autres Livres, disant que la souffrance et la mort font partie intégrante du programme mais n'ont pas le dernier mot. Tout cela s'accomplit dans l'Eucharistie. Si Jésus n'était pas ressuscité des morts, il n'y aurait pas d'Eucharistie, et donc pas d'Église. Mais aussi : si nous avons délaissé l'Eucharistie, si nous avons pris nos distances vis-à-vis de l'Église, c'est que nous avons oublié que ... Jésus est ressuscité.

    Mais justement, me direz-vous, aujourd'hui que Jésus est ressuscité, pourquoi y a-t-il encore la souffrance et la mort, pourquoi encore la persécution, les scandales, même, et peut-être surtout, à l'intérieur de l'Église ?

    Eh bien, ces pensées-là aussi attestent que nous sommes "lents à comprendre". Aujourd'hui, pas plus que hier, Jésus ne vient comme un organisateur génial de la société, ou comme un libérateur charismatique des opprimés. Il apporte essentiellement l'Esprit Saint qui accorde les hommes à Dieu, mais en les laissant à leur liberté inaliénable. C'est cela, l'intelligence des Écritures, qui est selon saint Luc le fruit pascal par excellence de l'action de l'Esprit Saint.

Je vous ai dit tout cela pour que vous trouviez en moi la paix. Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance : moi, je suis vainqueur du monde. (Jn 16, 33)

    Jésus ne nous met donc pas à l'abri de la détresse du monde. Au contraire, sa Parole nous y expose ; elle fait que le monde nous prend en haine :

Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu'ils ne sont pas du monde, de même que moi je ne suis pas du monde. (Jn 17, 14)

    Ils ne seront jamais nombreux, ceux qui veulent entendre cette vérité. Même s'ils l'étaient, ce n'est pas cela que nous devrions prendre en considération comme critère pour déterminer notre conduite. Ce que nous devons retenir, c'est que notre appartenance à la communauté des disciples de Jésus ressuscité doit être entière, définitive et inconditionnelle. Pour cela nous devons absolument nous abstenir de craindre le jugement des hommes. Pensons au baptême de Magdi Allam durant la vigile pascale il y a deux semaines. Il vit sous escorte de police en permanence. Pensons au martyre du Père Ragheed et de Mgr Rahho en Irak.

    Je lisais ces jours le récit des martyrs de la guerre civile en Espagne. J'ai été frappé notamment par le récit du martyre de Santiago Mosquera y Suárez de Figueroa. C'était un jeune de quinze-seize ans. Attaché à un pieu, il est sommé de blasphémer pour avoir la vie sauve. Maltraité avec sauvagerie, il répond : "Je préfère mourir plutôt que d'offenser Dieu". Son corps a été retrouvé miraculeusement. Il tenait son chapelet à la main droite. On a conservé de lui une relique. Il s'agit d'un brassard blanc avec l'inscription : "Souvenir de ma première communion". Dans le passé on portait ces brassards à la hauteur de l'épaule sur les habits de Première Communion. Son procès de Béatification a commencé en 2002.

    Ce que nous devons craindre, c'est le jugement de Dieu. Vivre dans la crainte de Dieu - c'est saint Pierre qui nous enseigne cela (cf. 2° lect) ! - ce n'est pas comme craindre les hommes. C'est le même mot mais il n'a pas le même sens. Il ne faut pas craindre les hommes. Cela veut dire qu'il ne faut pas avoir peur d'eux, de ce qu'ils vont penser de vous, de leur jugement, si vous faites telle chose (que les autres ne font pas) ou si vous ne faites pas telle chose (que presque tout le monde fait). C'est Dieu que nous devons craindre. "Craindre" ici veut dire : avoir peur d'offenser, d'attrister, de décevoir. La crainte du Seigneur est appelée "révérence filiale". C'est donc une crainte d'amour qui nous fait verser notre sang jusqu'à la dernière goutte plutôt que de déplaire à Dieu. La crainte servile, c'est le contraire : c'est éviter de faire quelque chose qui puisse nous valoir des ennnuis.

    Saint Pierre nous dit :

Frères, vous invoquez comme votre Père celui qui ne fait pas de différence entre les hommes, mais qui les juge chacun d’après ses actes ; viviez donc, pendant votre séjour sur terre, dans la crainte de Dieu.

    La traduction du lectionnaire, dont le but est d'être facilement compréhensible, dilue pourtant la force de l'expression originale : "qui ne fait pas acception de personnes". Dieu ne se laisse pas tromper par les apparences, plus ou moins favorables, ce masque derrière lequel les hommes ont l'habitude de dissimuler leurs véritables sentiments ou intentions. Dieu est le Saint, on pourrait dire : "le Clairvoyant".

    Saint Pierre nous dit cela pour nous inviter à vivre dans les dispositions qui plaisent à Dieu sans faire semblant. Faire semblant, c'est mentir. Le Père ne reconnaît pour siens que ceux qui vivent dans une humble soumission (cf. v. 14 : Soyez comme des enfants obéissants ...). Vivons sans nous laisser gagner par les manières de juger de ce monde, où, de toute manière, nous séjournons temporairement, comme des étrangers, des pèlerins. C'est ce que nous rappelait aussi le successeur de Pierre, Benoît XVI, en expliquant l'étymologie du mot "paroisse" à propos d'un passage de la lettre aux Hébreux qui parle d'Abraham :

Il est vrai, que sur la terre, nous sommes tous de passage, comme nous le rappelle justement la seconde lecture de la liturgie d’aujourd’hui, extraite de la Lettre aux Hébreux. Elle nous présente Abraham en vêtement de pèlerin comme un nomade qui vit dans une tente et s’arrête dans une région étrangère. La foi est son guide. "C’est par la foi qu’Abraham, lors de sa vocation, obéit et partit pour un lieu qu’il devait recevoir en héritage, et qu’il partit sans savoir où il allait". (cf. He 11, 8). Sa vraie destination était en effet "la cité qui a de solides fondements, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur." (11, 10). La cité à laquelle on fait allusion, n’est pas de ce monde, mais elle est au paradis. La première communauté chrétienne qu’on considérait comme "étrangère" et dont on appelait ses noyaux résidant dans les villes, "paroisses", ce qui signifie colonies d’étrangers précisément [en grec pàroikoi] (cf. 1 P 2, 11), en était bien consciente. De cette manière, les premiers chrétiens exprimaient la caractéristique la plus importante de l’Église qui est l’attirance précisément vers le ciel. La liturgie de la Parole d’aujourd’hui veut nous inviter en conséquence à penser "à la vie du monde à venir", comme nous le répétons chaque fois, que nous faisons cette profession de foi dans le Credo. Une invitation à vivre notre existence de manière sage et prévoyante, à prendre en considération attentivement notre destinée, c’est-à-dire ces réalités que nous appelons ultimes : la mort, le jugement final, l’éternité, l’enfer et le paradis. (Benoît XVI, Angélus 12 août 2007)

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